Le piège des apparences

Le piège des apparences

L’image et la parole doivent-elles instruire en reflétant le réel, ou séduire en imposant une illusion ?

Quand l’art trompe l’œil

Au IVe siècle av. J.-C., Phidias, sculpteur grec, triompha de son rival Alcamène grâce à un art du simulacre capable de tromper le regard. Son illusion fut jugée plus convaincante que la réalité elle-même. Platon y voit un constat inquiétant : l’image peut séduire au détriment de la vérité.
Il ne rejette pas toute représentation, mais distingue l’image fidèle, porteuse de savoir, de celle qui flatte les sens et aliène l’esprit. Ainsi, comme en art, la rhétorique devient suspecte dès lors qu’elle cherche à persuader plutôt qu’à instruire.

L’image qui séduit menace toujours la vérité, car elle se confond avec le réel et aliène l’esprit. »

Dans Le Sophiste, Platon réduit l’image de la réalité à la phantastikè technè, « l’art du simulacre », soumis à l’opinion et fondé sur l’illusion du vrai. Pour l’illustrer, il évoque le concours entre Phidias et Alcamène : le premier grossit les traits de sa statue d’Athéna pour compenser la hauteur de la colonne, tandis que le second conserve les proportions naturelles. Vue d’en bas, la statue de Phidias paraît plus réaliste, ce qui lui vaut la victoire. Mais Platon condamne cette victoire de l’apparence sur la vérité.


L’image et la parole sous procès

Pour autant, Platon ne rejette pas catégoriquement l’image. Lui-même recourt à des images puissantes, comme l’allégorie de la caverne. Dans Le Sophiste, il réhabilite ainsi l’eikastikè technè, « l’art de la copie », qui vise la ressemblance fidèle, à l’image de la statue d’Alcamène. L’image, pour être légitime, doit être indépendante du spectateur : non pas flatter son regard, mais exprimer le réel. Platon cite l’art égyptien comme modèle, car il conserve des formes artistiques fixes et immuables.

Qu’elle prenne la forme d’une statue ou d’un discours, l’illusion flatte le spectateur mais condamne le savoir. »

Cette critique s’étend à la parole. Dans le Gorgias, Socrate affirme que la rhétorique n’est pas un art mais une contrefaçon : elle séduit les âmes sans les instruire, elle fait croire au lieu de faire savoir. Ainsi, qu’il s’agisse d’un sculpteur ou d’un sophiste, toute image qui cherche à séduire au lieu de refléter la vérité risque de tromper l’esprit.

Vous aimez lire nos décryptages ?

Soutenez-nous ! Parce que nous sommes un média :

Comment Fairouz réinvente-t-elle l’identité à travers l'éxile ?

Dans ses chansons, c’est toute une géographie de l’absence qui se dessine, une c...

Et si la fiction ordinaire était une clé de transformation ?

Nancy Murzili, philosophe et professeure de littérature, nous invite à reconsidé...

Quand la beauté vacille

Dans son Analytique du sublime, le philosophe de Königsberg soutient une idée au...

Quand les rivières parlent et les montagnes répondent

Des collines sacrées du Népal aux forêts bruissantes d’Indonésie, il rencontre d...

Comment Fairouz réinvente-t-elle l’identité à travers l'éxile ?

Dans ses chansons, c’est toute une géographie de l’absence qui se dessine, une cartographie émotionnelle où les capitales perdues sont ressuscitées par l’écho des mots. Son ar...

Et si la fiction ordinaire était une clé de transformation ?

Nancy Murzili, philosophe et professeure de littérature, nous invite à reconsidérer le rôle de ces fictions sans faste. Dans son ouvrage Changer la vie par nos fictions ordina...

Quand la beauté vacille

Dans son Analytique du sublime, le philosophe de Königsberg soutient une idée aussi déconcertante qu’audacieuse : le sublime n’est pas simplement plus grand que le beau, il es...

Quand les rivières parlent et les montagnes répondent

Des collines sacrées du Népal aux forêts bruissantes d’Indonésie, il rencontre des êtres à la parole enracinée dans les montagnes, les Dukuns et les Jhankri, guérisseurs au so...

Rejoignez notre communauté

Recevez chaque semaine nos derniers dossiers, grands entretiens et décryptages dans votre boite mail !