Le 15 septembre 2018, sur France Inter, Éric Zemmour déclare : « Je suis pour l’Église et contre le Christ ». L’écrivain d’extrême droite, alors chroniqueur et futur candidat à la présidentielle, entend distinguer l’institution catholique, qu’il associe à l’ordre et à la tradition française, du message christique d’amour universel, qu’il juge inadapté à ses valeurs politiques. Ce propos s’inscrit dans une stratégie identitaire assumée, réduisant la religion à un pilier civilisationnel. À rebours de cette logique, la philosophe Simone Weil oppose dans ses écrits une lecture spirituelle du christianisme, détachée de toute finalité politique ou nationale.
Zemmour et l’héritage maurrassien
À l’opposé de Weil, Éric Zemmour affirme défendre « l’Église contre le Christ » au nom de l’identité nationale. Cette prise de position s’inscrit dans une tradition politique d’extrême droite marquée par l’héritage de Charles Maurras, théoricien de l’Action française, qui défendait un catholicisme réduit à son utilité sociale. À l’instar de Maurras, Zemmour mobilise l’institution religieuse comme un rempart culturel contre ce qu’il considère être des menaces civilisationnelles, en particulier l’immigration musulmane.
Réduire la religion à un marqueur identitaire revient à trahir le cœur même du christianisme : la sortie de soi, la rencontre avec l’autre, y compris l’ennemi.
Il déclare en 2023 à France Catholique : « Toute ma culture, c’est le christianisme », tout en rejetant les dimensions spirituelles du pardon, de l’universalisme ou de l’hospitalité. Cette instrumentalisation s’inscrit dans un discours identitaire qui fait de la religion un outil d’exclusion, détourné de sa vocation éthique et spirituelle.
Simone Weil, une spiritualité sans nation
Simone Weil (1909-1943) propose un éclairage critique sur l’utilisation de la religion à des fins identitaires. Philosophe mystique d’origine juive, elle n’a jamais été baptisée, mais ses expériences spirituelles nourrissent une œuvre marquée par une tension entre foi personnelle et institution religieuse. Dans La Pesanteur et la Grâce, elle distingue le christianisme comme exigence spirituelle de l’Église en tant qu’institution humaine. Pour elle, le message du Christ repose sur la compassion, l’abnégation et l’attention au malheur, et ne saurait servir de fondement à un ordre national.
Entre Zemmour et Weil se joue une fracture décisive : l’un fait de la foi un instrument politique, l’autre en défend la pureté spirituelle.
En 1942, dans ses lettres au père Perrin, elle explique son refus du baptême comme fidélité à une vérité qui dépasse toute institution. Elle écrit : « Le bien est la seule source du sacré. Il n’y a de sacré que le bien et ce qui est relatif au bien. » Réduire la religion à un marqueur identitaire revient, selon elle, à trahir le cœur même du christianisme : la sortie de soi, la rencontre avec l’autre, y compris l’ennemi. Ainsi, elle incarne tout ce que Zemmour rejette : une pensée du déracinement universel et un christianisme sans nation.