L’humanisme marque la fin du Moyen Âge, époque où Dieu et sa création étaient au centre, et l’Homme n’était que créature. Il met en avant le monde intérieur de l’Homme et ses capacités exceptionnelles. Les prouesses artistiques et techniques de la Renaissance, notamment à Florence, renforcent ce sentiment d’émerveillement. L’Homme se détache de Dieu en adoptant un regard critique sur la religion — facilité par la diffusion de la Bible grâce à l’imprimerie de Gutenberg en 1450 — et se fie davantage à sa raison. Cette rationalité a permis aux sociétés occidentales de prospérer grâce aux banques et au commerce, renforçant la croyance dans la supériorité de l’Homme occidental.
L’humanisme occidental nous a fait croire que nous pouvions dominer la nature et hiérarchiser les hommes, avec des conséquences terribles pour le monde.
Le problème, selon Lévi-Strauss, est que l’humanisme définit l’Homme de manière trop étroite : comme « être pensant », mais non comme « être vivant ». Il le sépare ainsi de la nature et légitime sa domination sur elle. Il justifie également une hiérarchie entre les Hommes : ceux qui possèdent le logos — la capacité de raisonner — s’arrogent un privilège sur ceux qui semblent en être dépourvus, ouvrant la voie à la colonisation et à l’extermination des peuples « inhumains » rencontrés lors des grandes découvertes.
Comme le souligne Lévi-Strauss : « L’humanisme nous a conduits […], aux camps de concentration, à l’extermination d’une partie de l’humanité par elle-même et de cette partie de l’humanité qui se croyait supérieure à tout le reste de l’humanité ».
Deux humanismes et deux visions du monde
Pour Lévi-Strauss, il existe deux formes d’humanisme : l’une fondée sur le respect de l’Homme par l’Homme — incarnée par Montaigne — et un « humanisme dévergondé », héritier de la tradition judéo-chrétienne et de la Renaissance. Certains passages bibliques peuvent justifier la domination de l’Homme sur la création, comme Genèse 1:28 : « Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». La conséquence a été catastrophique pour les écosystèmes et pour les relations entre peuples.
Séparer l’Homme du vivant, c’est s’aveugler sur les liens qui nous unissent à tout ce qui nous entoure.
L’humanisme occidental repose sur une ontologie « naturaliste », selon Philippe Descola, dans laquelle la physicalité est partagée avec le reste de la nature, mais l’intériorité — pensée, conscience — reste un privilège de l’Homme. Cette vision contraste avec l’animisme des Achuar en Amazonie, pour qui chaque être, humain ou non, possède une âme. Les rapports avec la nature sont alors des rapports de personne à personne, où la chasse implique la négociation avec la proie. L’humanisme occidental, en revanche, établit une hiérarchie et sépare l’Homme du monde vivant.
Cette ambiguïté se retrouve dans Antigone : « Beaucoup de choses sont formidables, mais rien n’est plus formidable que l’Homme ». Le mot « formidable » conserve l’émerveillement, mais sa racine latine « formidabilis » rappelle le caractère terrifiant de cette supériorité.
Le sujet dans la littérature contemporaine
La critique de l’humanisme et de sa centralité dans la pensée occidentale traverse la littérature contemporaine. Michel Serres, par exemple, questionne la relation de l’Homme à la nature et appelle à un « contrat naturel » pour rétablir l’équilibre. Bruno Latour souligne les dangers d’une ontologie où l’Homme serait séparé du vivant et plaide pour une approche où humains et non-humains coexistent comme acteurs d’un même monde. De même, Philippe Descola met en lumière la pluralité des ontologies et la nécessité de repenser notre rapport au monde, montrant que la centralité de l’Homme n’est ni universelle ni naturelle, mais construite culturellement. Ces approches prolongent la réflexion de Lévi-Strauss, révélant les limites et les dangers d’un humanisme occidental déconnecté de la nature et de la diversité humaine.